Una Storia Importante
Les lecteurs fidèles et assidus auront remarqué que je parle rarement à la première personne. Aujourd'hui, je vais faire une petite exception, parce que j'en ai envie, et que cet article me concerne directement. Ce n'est peut-être pas Katia qui écrit, d'ailleurs, mais plutôt l'acteur qui, tous les jours, joue ce rôle écrit au départ pour quelqu'un d'autre.
J'adore les dates, les anniversaires, et les commémorations. Il y a, dans mon calendrier, des jours super importants, en tout cas plus importants que d'autres. Le 31 août, bien sûr, mais aussi le 8 septembre, le 13 mai, le 24 avril, le 18 mars, le 14 février, le 17 janvier... et le 5 octobre. Comme tous les vieux couples qui fêtent leur anniversaire de mariage en allant dans un restaurant espagnol manger une paella, je vais procéder ce jour-là à mon échange rituel de cartes postales. J'en enverrai une à Luciano (un joli paysage breton, forcément), et je recevrai une belle carte de Venise. Ou peut-être de Milan, s'il a déménagé.
C'était il y a sept ans maintenant, le lendemain de la rentrée universitaire, dans le petit amphi du département de sociologie. Ce n'était pas à Rennes, mais dans un gros bourg d'Europe centrale, où les églises ressemblent à des patisseries, où les étudiants roulant à vélo représentent les deux tiers de la population, et où l'on parle allemand avec un accent très spécial. Luciano arrive en retard, il s'assoit à côté de moi, et me taxe un stylo. Moi, je reste tétanisé, tellement il est beau, ce mec. Il me baragouine quelques mots sortis d'un guide de conversation, je devine qu'il est italien. Y aura du boulot : monsieur ne parle pas allemand, ni anglais, et à part l'italien, il a appris un peu de français. Suffisament pour me dire qu'il a passé les plus belles vacances de sa vie au Conquet, qu'il adore la Bretagne, et que je suis très gentil...
La suite ? On décide de sécher les cours, je lui fais découvrir la ville, je suis son interprète au bureau des étrangers de la police, on va boire un café au lait dans un salon de thé hyper bourge sur les quais. Le reste, c'est du grand classique. Enfin, pas tout à fait. Luciano était hétéro, il est devenu homo avec moi, et est redevenu hétéro après. J'étais une parenthèse de quelques mois. Dix mois pendant lesquels nous formions un vrai petit couple modèle.
C'est lui le premier mec que j'ai présenté à mes parents, rendant ma mère toute heureuse d'avoir un beau-fils italien. C'est avec lui que je me promenais main dans la main en ville et sur le campus, chose complètement inimaginable en France à la même époque. Et c'est avec lui que j'ai connu des milliers d'épisodes inoubliables.
Il me faisait à manger, et moi je lui écrivais son mémoire de psychopathologie. Je lui lavais son linge, et lui m'offrait un vélo volé, qu'il avait repeint en vert kaki dans la cave. Il se bourrrait la gueule tous les week-end, et moi je le ramenais dans son lit, tel un saint-bernard. Je lui expliquais la déclinaison allemande, et lui me lisait "Le Petit Prince", à haute voix dans la neige. Je lui payais des verres dans le bar de lesbiennes après le ciné, et lui me faisait découvrir les clubs de jazz. Il me surprenait dans la bibliothèque en arrivant par derrière et en me faisant un bisou dans le cou, et moi je lui glissais des petits mots d'amour dans les bouquins qu'il consultait. Je lui demandais pardon pour l'avoir laissé tout seul hier soir, et lui m'attendait à la sortie de l'hôtel où je travaillais à mi-temps, avec un sachet de bonbons pour me "donner des forces".
J'avais parfois l'impression d'être un boulet pour lui. J'étais fauché, il demandait à ses parents de me prêter du fric. Ou alors, comme quand j'étais malade, et que je suis tombé dans les pommes en me levant la nuit pour boire de l'eau. Il m'avait entendu, il s'était réveillé, s'était levé, et m'avait pris sans ses bras comme un prince charmant pour me recoucher.
- Ca va ?
- Non, je vais crever...
- Mais je suis là, je m'occupe de toi. Ton médicament, c'est moi !
Je n'étais pas en reste. Je subissais ses excès d'alcool et ses gueules de bois. Je passais des journées entières au commissariat de police, parce que monsieur avait perdu son portefeuille lors d'une sacrée soirée. Il me boussillait des pellicules photo, à prendre des clichés débiles "juste pour essayer". Il me traînait dans des magasins de sport pour s'acheter des gadgets hyper chers. Il m'empêchait d'aller chez ma meilleure copine, parce que le vendredi soir, il y avait toujours une soirée où il avait réussi à avoir des entrées gratuites pour nous deux. Il détestait les films de Téchiné et de Rohmer, mais il exigeait d'avoir cet album de Yann Tiersen importé de France, parce que "je t'en prie, c'est mon anniversaire dans une semaine". Je participais à des expériences du département de psycho pour qu'il ait une bonne note. Il passait des journées entières sur caramail à chatter avec une étudiante de Rennes 2, uniquement pour essayer de me rendre jaloux.
Ca a fini par se terminer, quand il a rencontré une Italienne, une fille très très conne qui le suivait comme un petit chien. Elle faisait des études de statistiques, c'est pour ça que depuis, j'ai horreur des statisticiennes ! De mon côté, j'avais rencontré Sven, puis Matthias, puis Florent. Il ne m'a pas largué, je ne l'ai pas largué non plus. C'est un jour, à la cafet', qu'on s'est dit qu'on était passé à autre chose, chacun de notre côté. Il est retourné en Italie, et moi je me suis installé à Rennes.
Depuis, je reçois toujours des petits mails, des petites cartes postales, des petits signes de vie qui prouvent que je suis encore quelqu'un pour lui. Je lui envoie aussi quelques signaux sporadiques, histoire de maintenir cette petite flamme. Sept ans après, il est resté toujours aussi beau, toujours aussi gentil, toujours aussi tendre. Et il a réalisé son grand rêve : devenir acteur de théâtre.
Et pourquoi je vous parle de lui, là ? Ce n'est pas de la nostalgie, non. C'est juste que je me suis depuis longtemps rendu compte que les mecs qui me faisaient craquer, et qui me plaisaient vraiment, sont ceux qui lui ressemblent. Physiquement, n'imaginez surtout pas l'Italien macho et poilu, avec la peau mate. Luciano, il est chatain (voire blond), les cheveux très très courts, la peau claire, les bras musclés, des petites lunettes qui lui donnent un air intello, une casquette pour la "wesh attitude", et des polos bleus turquoise ou rose pâle. Ca, c'est pour l'emballage ; et on en trouve des milliers comme lui à Rennes et ailleurs. Mais ce qui m'intéressait chez lui, c'était l'intérieur. Je fréquentais pas mal le milieu gay à l'époque, et les pétasses superficielles commençaient déjà à me gaver. Lui était différent. Sensible, mais carrément les pieds sur terre. Romantique, mais pas cul-cul, et surtout très réaliste. Et puis il était vrai, honnête, sincère ; ce qui manque à pas mal de pédérennais (et j'en fais peut-être partie, d'ailleurs !). Luciano, c'était un modèle... et presque un prototype.
C'est d'ailleurs pour ça que je ne trouverai jamais pareil que lui. A Olga (une autre connasse très katiaphile), je disais il n'y a pas longtemps que "je suis comme Muriel, je crois au prince charmant. Quitte à faire un mariage blanc avec le premier nageur venu". Ce premier nageur n'ayant pas été le bon, il reste à espérer que le second fera davantage l'affaire...
Pour une fois, l'article du jour ne répond pas au cahier des charges du Monde de Katia, à savoir : chroniques mondaines, critiques musicales et vestimentaires, et autres connasseries. C'est aussi fait pour ça, un blog : parler de soi.
Katia